Entrepreneuriat et développement durable : la « société entrepreneuriale » à l’épreuve de la crise sanitaire.
Par son aspect brutal et soudain et les mesures d’urgence qu’elle a imposées au niveau mondial, l’épidémie de COVID-19 a provoqué une crise systémique qui, au-delà des aspects purement sanitaires, a mis à mal bien des certitudes, voire des croyances, sur les principes de régulation des sociétés, dans leur dimension nationale et internationale. Elle a mis ainsi sous une lumière crue la fragilité des modèles économiques et sociaux dominants qui peinent à anticiper correctement les risques et à apporter des solutions incontestables tant sur le plan de l’efficacité qu’en termes éthiques. Elle renvoie, en ce sens, au débat fondamental porté depuis sa création par le RIODD autour des modèles de développement et de leurs implications dans les organisations. Ce débat porte d’abord sur le sens des actions, les objectifs individuels et collectifs poursuivis, l’ordre des priorités. Il porte ensuite sur les moyens d’engager ces actions, de poursuivre ces objectifs. Il conduit à s’interroger ainsi sur le rôle et la légitimité respectifs de la puissance publique et des acteurs privés, sur le niveau et le type d’articulation pertinents entre eux.
L’objectif initial du 15e congrès du RIODD (2020) était précisément d’aborder ce débat, au niveau des organisations, en interrogeant le modèle de la « société entrepreneuriale » (D. Audretsch, 2006, 2007), revendiqué depuis plusieurs années par les dirigeants de nombreux pays comme étant particulièrement pertinent pour répondre aux grands défis sociaux et environnementaux contemporains. Les contraintes sanitaires ayant conduit à proposer une édition allégée et en distanciel du congrès 2020, l’édition 2021 doit permettre de poursuivre et approfondir utilement le débat, en croisant plus que jamais les regards des sociologues, philosophes, juristes, historiens, géographes et écologues, et ceux des économistes et spécialistes du management.
La crise sanitaire, par la rapidité et l’ampleur des bouleversements qu’elle a induits, a en effet fourni un formidable terrain d’analyse du modèle de la « société entrepreneuriale » (et des modèles alternatifs) sur lequel s‘ancreront les débats du congrès, autour des enjeux d’innovation de produits et services, de process, managériales (Schumpeter, 1935 ; Carland, Hoy, Boulton et Carland, 1984) dans les organisations publiques et privées, d’opportunités nouvelles ou détruites (Venkataraman, 1997 ; Shane et Venkataraman, 2000), de développement ou de disparition des organisations (Gartner, 1985), de création ou de destruction de valeur économique et non-économique (Gartner, 1990).
Les interventions étatiques, rendues nécessaires pour combattre la pandémie et faire face à la crise économique et sociale mondiale qu’elle a entrainée, ont remis l’accent sur le rôle irremplaçable des Etats dans les situations de crise. Ce renouveau de la puissance publique, détentrice des pouvoirs régaliens, s’est accompagné, par ailleurs, de nombre d’initiatives provenant tant du secteur des entreprises que de collectifs issus de la société civile, afin de trouver des solutions innovantes aux problèmes, parfois inédits, posés par les événements. Se posent alors, dans un contexte largement renouvelé, les conditions d’émergence d’une « société équilibrée » (Mintzberg, 2017) entre les « trois piliers » que constituent les Etats, les marchés et les communautés organisées (ib).
Dans la même perspective d’un renouvellement des cadres d’analyse des politiques économiques et sociales en cours, se pose notamment la question d’une révision de l’« Agenda 2030 » des Nations-Unies et des Objectifs du Développement Durable (ODD) qui avaient été énoncés, dans un autre contexte en en 2015. Dans quel sens revoir ces ODD et comment situer le rôle dévolu aux organisations (publiques, privées ou communes) pour aboutir à une véritable soutenabilité ? Cet enjeu majeur sera au cœur des débats du 16e congrès du RIODD.
Audretsch, D. B. (2006), « L’émergence de l’économie entrepreneuriale », Reflets et perspectives de la vie économique, De Boeck Université, 45 (1) : 43-70.
Audretsch, D. B. (2007), The Entrepreneurial Society, Oxford, Oxford University Press.
Carland, J.W., Hoy, F., Boulton, W.R., and Carland J.A.C. (1984), « Differentiating entrepreneurs from small business owners : a conceptualisation », Academy of Management Review, 9(2)
Gartner W.B. (1985), “A framework for describing and classifying the phenomenon of new venture creation”, Academy of Management Review, 10(4), , 696-706.
Gartner W.B. (1990), “What we are talking about when we are talk about entrepreneurship”, Journal of Business Venturing, 5(1), 45-67.
Mintzberg H. (2017), Rééquilibrer la société : entre le secteur privé, le secteur public et ceux qui agissent différemment, Maxima Laurent Du Mesnil, Paris.
Schumpeter J.A. (1935), Théorie de l’évolution économique, Dalloz, Paris.
Shane, S., and Venkataraman S. (2000), “The Promise of Entrepreneurship as a Field of Research”, Academy of Management Review, 25(1), 36-52.
Venkataraman S. (1997), “The Distinctive Domain of Entrepreneurship Research”, Advances in Entrepreneurship, Firm Emergence and Growth, Katz J.A. et Brockhaus R.H. (eds.), vol. 3, 119-138.